Chronique d’un vignoble en mouvement : la Rioja

Située au nord de l’Espagne, le long de l’Èbre, la Rioja est sans doute le vignoble le plus emblématique de la péninsule ibérique. Synonyme de grands rouges aux arômes de fruits mûrs et de boisé soyeux, elle incarne à la fois une histoire riche, un terroir pluriel et une dynamique d’innovation qui continue de séduire les amateurs du monde entier.
Un héritage millénaire
L’aventure viticole de la Rioja remonte à l’époque romaine, mais ce sont les moines du Moyen Âge qui ont véritablement structuré la région en introduisant des méthodes de vinification plus élaborées. Dès le XIXᵉ siècle, un tournant décisif s’opère : alors que le phylloxéra ravage Bordeaux, nombre de négociants français se tournent vers la Rioja. Ils apportent avec eux leur savoir-faire en matière d’élevage sous bois, donnant naissance à ce style si particulier, où le chêne occupe une place de choix. En 1925, elle devient la première appellation espagnole à obtenir la fameuse Denominación de Origen (DO), renforcée en 1991 par le statut de DOCa (Denominación de Origen Calificada), le plus haut niveau de reconnaissance.
Trois sous-régions, mille visages
Elle se divise en trois entités qui dessinent une mosaïque de terroirs :
- Rioja Alta, à l’ouest, bénéficie d’un climat plus frais et océanique. Les vins y gagnent en finesse, en fraîcheur et en potentiel de garde.
- Rioja Alavesa, accolée au Pays basque, partage cette influence tempérée. Ses sols calcaires favorisent des rouges élégants, souvent marqués par une belle acidité.
- Rioja Oriental (anciennement Rioja Baja), plus chaude et sèche, produit des vins puissants, solaires, aux tanins charnus.
Ce jeu d’altitudes, de sols (argilo-calcaires, alluviaux, ferreux) et de climats crée un formidable réservoir de diversité que les vignerons savent exploiter.

Les cépages rois
Le Tempranillo règne en maître : il couvre environ 75 % de la surface plantée. Cépage caméléon, il exprime des profils variés, du fruit croquant aux notes plus profondes de cuir et d’épices après élevage. Il est souvent assemblé au Garnacha Tinta (grenache), qui apporte chaleur et rondeur, au Mazuelo (carignan) pour la structure, ou au Graciano, cépage rare mais précieux, donnant couleur et vivacité.
La Rioja n’est pas en reste sur le plan des blancs. Longtemps confidentiels, ils connaissent un renouveau grâce au Viura (macabeo), cépage historique, complété par le Malvasía ou le Tempranillo blanco, mutation locale récente qui séduit par sa fraîcheur aromatique.
Une typologie unique
La région a bâti sa réputation sur l’élevage en barriques, majoritairement de chêne américain, parfois de chêne français. Ce choix stylistique a donné naissance à une classification singulière, encore aujourd’hui gage de repères pour le consommateur :
- Crianza : au moins un an en fût, puis affinement en bouteille. Des vins accessibles, mêlant fruit et boisé discret.
- Reserva : trois ans d’élevage dont un en fût. Plus de profondeur et de complexité.
- Gran Reserva : cinq ans de vieillissement, dont au moins deux sous bois. Des vins de patience, soyeux, aux notes tertiaires (tabac, cuir, épices).
À côté de ce triptyque traditionnel, une nouvelle génération de vignerons met en avant les vins de terroir, parcellaires, parfois élevés en amphores ou en béton, cherchant à sublimer la pureté du fruit et l’expression des sols.

Entre tradition et modernité
La force de la Rioja réside sans doute dans sa capacité à conjuguer les héritages du passé avec l’audace contemporaine. On y trouve encore ces bodegas cathédrales, où s’alignent des centaines de barriques noircies par le temps, mais aussi des architectures audacieuses signées Frank Gehry ou Santiago Calatrava, symboles d’un vignoble tourné vers le futur.
Loin de se reposer sur sa réputation, la Rioja continue d’explorer : vins blancs de gastronomie, rouges de parcelles en altitude, pratiques viticoles durables. Autant de pistes qui enrichissent l’offre et séduisent de nouvelles générations d’amateurs.